La situation économique délabrée et l’appauvrissement de l’Etat ont amené le gouvernement à adopter, il y a quelques mois, une mesure fiscale qui a fait peut-être grincer des dents certains, mais que l’on peut comprendre dans son principe. Sauf que la façon dont elle se présente la rend tout à fait détestable…
De quoi s’agit-il ? La mesure en question consiste à porter la taxation des revenus sur les placements financiers de 20 à 35 %. Elle vise finalement les fortunes confortables que leurs propriétaires préfèrent laisser fructifier tranquillement, plutôt que d’avoir à les engager dans des projets générateurs d’emplois… Ce qui signifie que, tout en prélevant une part importante sur les intérêts des placements et en renflouant les caisses de l’Etat en se servant auprès de la population la moins touchée par la crise, la surtaxation pousse le capital à sortir de sa léthargie et à se trouver des options de fructification plus fécondes pour l’économie du pays : voilà pourquoi nous disons que la mesure est très défendable dans son principe.
Qu’est-ce qui la rend cependant critiquable ? Dans les faits, on constate qu’elle est rétroactive. Ce qui signifie qu’elle bouleverse des négociations qui ont eu lieu entre les banques et leurs clients. Elle remet en question la faisabilité financière d’éventuels projets qui auraient intégré les revenus escomptés en tant que ces derniers ont été fixés à l’avance par la négociation. Mais, surtout, elle introduit dans la relation entre la banque et ses clients une relation d’incertitude, voire de rupture de confiance, qui est très dommageable à la bonne marche de l’économie dans l’avenir… Les banques devraient donc s’inquiéter que pareilles mesures les mettent dans la position de celui qui est amené à rompre un contrat engagé : il y va de leur crédibilité en tant qu’acteur économique. Mais l’Etat devrait lui-même s’inquiéter de ce que les acteurs économiques en général puissent développer une certaine méfiance à l’égard d’un environnement où les contrats ne sont plus à l’abri de remises en question, qu’ils viennent d’en haut ou d’ailleurs.
Ces remarques ne devraient pas être trop facilement mises sur le compte de la déception provoquée par un manque à gagner du client de la banque : elles dénoncent une action synonyme de désordre et qui accroissent le facteur de l’imprévisibilité. Ce qui conforte dans l’idée que cette mesure a été mal préparée et mal mûrie, c’est qu’elle est, elle-même, génératrice d’injustice. Car, et pour autant que nos informations à ce sujet sont tout à fait fiables, les personnes qui ont pu percevoir à l’avance les intérêts de leurs placements, parce qu’ elles ont opté pour cette possibilité—peut-être par circonspection—celles-là ont pu échapper à la surtaxation. La rétroactivité de la mesure les a épargnées. Celles, au contraire, qui ont joué la carte de la confiance dans le système en choisissant de ne toucher les intérêts qu’à terme, ont été pénalisées en subissant seules ses effets négatifs pour leurs revenus… Engager une action qui se propose au final de rétablir une certaine justice sociale, mais à partir d’une disposition qui est elle-même synonyme d’injustice, cela laisse planer des doutes graves sur sa solidité. Bref, fallait-il, pour mener une action qui ne manque pas de légitimité, user de violence contre la logique du contrat et, en outre, rajouter de l’injustice pour ceux qui ont eu à subir les conséquences de cette violence ? Si gouverner ainsi exprime une certaine médiocrité, pensons-nous, se taire, accepter sagement le fait accompli est aussi coupable !